À la ZAD, une forêt en commun

Février 2020. Un chantier de bûcheronnage est organisé en forêt de Rohanne, à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Relations à la forêt, us et coutumes pour ce commun, couper, quoi, quand, comment et pour quoi, autant de questions qui se posent et de réponses qui se construisent.
Copin des bois

À la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la boue colle encore aux bottes. Le bocage ne connaîtra pas le béton d’un nouvel aéroport, le premier ministre l’a annoncé le 17 janvier 2018. Restent nombre de ceux qui l’ont défendu1. Ceux qui cherchent encore à habiter cette terre en commun. Sur zone, on parle de deux-cent personnes.
En février 2020, des habitants de la ZAD réunis dans l’association Abrakadabois invitaient à une dizaine de jours de bûcheronnage dans la forêt de Rohanne. Alors j’ai filé plein ouest avec les paysans-forestiers de Treynas (07) et leurs chevaux, pour aller voir – et apprendre.

Carte de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, Prise de terre(s), copin des bois
Cartographie publiée par des habitants de la ZAD en 2019, dans Prise de terre(s).

Ce que racontent les arbres

Passer la lisière d’une forêt c’est rentrer dans un autre rapport au temps. Passez la lisière de la forêt de Rohanne, c’est flagrant. Les arbres qui sont là ont connu toutes les phases de la lutte, et avant. La plupart furent semés ou plantés dans les années 1940, alors que l’actuel aéroport Nantes-Atlantique n’était qu’une piste en herbe. À cette époque les communaux relevaient déjà du passé : la propriété était privée et il s’agissait de la rendre productive. Alors la zone humide fut plantée d’essences d’arbres dont on dit qu’ils poussent vite et droit (épicéas, pins, douglas). Mais la récolte prévue quarante ou soixante ans plus tard n’eut pas lieu : entre temps les trente-et-un hectares de plantation étaient entrés dans la zone d’aménagement différée instituée pour le projet d’aéroport. Les rythmes de l’exploitation sylvicole industrielle furent gelés et la forêt continua.

ZAD Notre-Dame-des-Landes, histoire vue par la forêt de Rohanne, copin des bois

Entre les arbres, des restes de cabanes. Eux nous ramènent à un passé plus proche, quand les militants commencèrent à habiter la zone à défendre, à l’occuper physiquement. Aujourd’hui à terre, certaines cabanes s’élevaient à plus de dix mètres de haut. Un peu plus loin, une grande galette formée par les racines d’un douglas tombé en travers du chemin. Le vent lui aura été fatal mais sa chute une aubaine pour tous ceux qui s’en servirent comme barricade. Des bouts de métal, encore fixés dans son tronc, empêchaient les tronçonneuses de le débiter et de libérer le chemin aux machines. Si l’on tend bien l’oreille, les arbres nous racontent aussi les grenades lacrymogènes qui rebondissaient sur leurs troncs et les 5000 personnes réunies pour contrer les expulsions de « l’Opération César ». C’était en 2012. Aujourd’hui, nous sommes près d’une cinquantaine d’apprenti.e.s-bûcheron.nes dans le calme de la forêt et on se demande qui couper du gros douglas ou du pin tordu.

Une forêt en commun

Elles discutent sur la forêt que l’on souhaite voir demain. Demain ? Dans 20, 50, 100 ans ! Comme quoi, la lutte s’enracine.

Après l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport, le premier défi, le premier conflit, qui est monté sur les devants de la scène est celui d’habiter une terre en commun. Une fois la victoire contre l’aéroport arrachée, que reste-t-il aux occupants de la ZAD pour faire communauté ? Une fois assumé le choix de rester sur zone, comment composer avec les usages et les sensibilités de chacun ? Comment inventer ensemble de nouveaux us et coutumes ? Quelques jours passés dans la forêt de Rohanne donne un aperçu très concret de ce qui se joue là.

_ Si on a défendu ces arbres contre le béton, c’est pas pour les couper derrière !

Voilà l’amorce d’un premier débat, qui a eu lieu au sein de ce qui était encore une communauté de lutte. Faut-il ou non couper des arbres ? Qui pour nier qu’abattre un arbre est un acte fort, décidément intrusif et allant à l’encontre d’un ensauvagement non-humain ? Mais si bûcheronner permettait justement d’aller à la rencontre du non-humain ? Et qui pour nier que du bois est utilisé pour construire les habitats, les meubler et souvent les chauffer ? Le collectif Abrakadabois est né en 2014 de ce choix d’assumer les besoins en bois et de ne pas chercher à s’extraire du vivant. De ne pas le regarder comme un « environnement », mais plutôt d’expérimenter la multiplicité des liens qui nous tissent à lui.

_ Et on coupe quoi là ?

Voilà l’amorce d’un deuxième débat, sans cesse renouvelé. Des dizaines de personnes qui se baladent en forêt, le nez en l’air, les yeux rivés sur les houppiers. Elles discutent sur les raisons d’abattre un arbre plutôt qu’un autre, sur l’apport de lumière que ça offrira à son voisin, sur la vulnérabilité au vent que ça engendrera, sur l’avenir de telle espèce dans cette forêt particulière, sur le champignon qui menace telle autre, sur les besoins d’aujourd’hui et sur la forêt que l’on souhaite voir demain. Demain ? Dans 20, 50, 100 ans ! Comme quoi, la lutte s’enracine. Tout ce monde-là qui dialogue, et qui s’engueule, et qui le jour suivant reviendra une tronçonneuse à la main. Le cauchemar pour un gestionnaire à qui il aurait été demandé de marquer bien-tranquille-tout-seul-dans-ses-certitudes les arbres à abattre. Mais ici, la richesse tient à la rencontre entre une diversité de connaissances et de sensibilités.

_ Mais cet arbre là, si on le coupe on va en faire quoi ?

Après les bûcheron.ne.s et les débardeuses, il y aura le poêle ou la scie. Puis les charpentier.e.s et les menuisier.e.s. Et enfin les habitant.e.s. Le bois issu de la forêt de Rohanne leur sera distribué au prix coûtant, en priorité pour des projets communs comme la construction de dortoirs mais aussi pour les lieux de vie collectifs ou des projets plus individuels. À la ZAD, avec de la paille, de la terre glaise, de l’argile et du bois, on a un habitat. Une partie du bois sera offerte en solidarité à d’autres résistances, comme cela a été fait déjà pour un squat d’exilés à Nantes. La sciure viendra recouvrir la multitude de toilettes sèches de la zone.

Le chantier bûcheronnage qu’on fait là c’est pour le coutumier.

L’habitant qui m’accompagne ce jour-là à l’Ambazada m’annonce ça l’air de rien. Comme si c’était, déjà, une nouvelle normalité sur la zone que de la penser en terme de « communs » et de « coutume ». Un hic cependant : le foncier ! Cette question insistante de la propriété de la terre.

Les trente-et-un hectares de la forêt de Rohanne ont été transférés au Conseil départemental au printemps dernier. Le projet d’Abrakadabois ne se pliait pas aux exigences du gouvernement : des projets agricoles individuels. Désormais propriété publique, Rohanne devrait être soumise au régime forestier et dès lors à une gestion par l’Office National des Forêts (ONF). Mais imaginer qu’un agent ONF extérieur décide des arbres à couper et à commercialiser est une vision bien pauvre au regard de la relation habitants-forêt que défend Abrakadabois. Une relation familière, qui s’étoffe dans le temps long et avec la diversité des regards que permet le collectif, sans commune mesure avec une prestation d’exploitant-forestier – ce qui pourrait leur être proposé. Mais Abrakadabois a bien l’intention de tordre le droit – d’imaginer et mettre en place de nouveaux cadres – pour pouvoir continuer à maîtriser cette micro-filière de A à Z.

Regard sur un chantier-école

ZAD Notre-Dame-des-Landes, carnet sur un chantier école, copin des bois

Cueillir un arbre

Le dos contre l’arbre, j’essaie de me projeter dans sa masse. Comprendre les forces qui le tiennent debout. Les tensions dans les fibres. Savoir le cueillir avec finesse, pour garder sa beauté jusque dans sa chute. Ne pas abîmer la qualité de son bois, ni la relève autour de lui. Histoire d’un abattage.

Un peu plus loin, le bruit des tronçonneuses laisse place aux dents du passe-partout qui grignotent doucement un douglas de 80 centimètres de diamètre. Abattre à la main ? Une belle façon d’honorer l’arbre. Se rendre compte dans l’effort du vrai prix du bois, sans le fuel dans la machine. Prendre conscience aussi de la nécessité de l’entraide. Du groupe.

ZAD de Notre-Dame-des-Landes, bûcheronnage manuel en collectif, forêt de Rohanne, reportage dessiné, copin des bois


1. Je ne m’étends pas sur les bouleversements qu’ont connu « les zadistes » – dans leur ensemble hétérogène – suite à l’abandon du projet d’aéroport. Ils ont eux-mêmes écrit de beaux textes sur ces mouvements et les choix qu’ils ont fait. Passez à la Rolandière récupérer un livret ! Ou lisez-le sur Lundi Matin.

L’appel pour racheter les terres du bocage – la terre en commun