5h. Je me réveille dans la nuit, cherche mes vêtements de la veille. Puis je pousse la porte et rejoins la rumeur des cloches. À mesure que le seau se remplit de lait, le ciel s’éclaircit, les couleurs apparaissent, les contrastes augmentent. Le jour se lève. Le flanc de la vache contre lequel je suis assise devient plus clair.
Le ventre râle, le lait se tarit, petit-déjeuner. Puis commence le rituel du fromage. D’abord couper grossièrement la gelée qui s’est formée sous l’action de la présure dans le lait. Puis faire danser le manche de bois dans l’immense marmite : mouvement régulier de l’épaule jusqu’au bout des doigts, en passant par le poignet. En réponse, les grumeaux montent, le liquide se ride, agitation incessante, hypnotisante. Enfumée dans cette pièce sombre, l’odeur du feu m’imprègne peu à peu. Les yeux me piquent, mais ça ne fait rien : le rituel continue. Dans la marmite le thermomètre monte, lentement. 36°C. 42°C. 45°C. Jusqu’à 48°C parfois. Un dernier mouvement de poignet et l’on sort du feu. Le soleil est là. La journée des randonneurs a commencé.
Les seaux de petit lait pour les veaux, les fromages dans leurs moules, et une parenthèse s’ouvre jusqu’au midi. Dans la baita, jeux de clair-obscur. Le sombre de la cabane et la lumière éblouissante du dehors, accentuée par les 2000 mètres d’altitude. Dans le cadre de la porte, toujours une silhouette qui observe, attend, se repose, interpelle le passant. Ni dehors ni dedans.
Le temps du déjeuner. Silvia parle pour six. Elle répète les mêmes phrases courtes, une intonation traînante en fin de phrase, comme une litanie : Tutto quello che c’è c’è. Ogn’uno si arrangia. Etc. Oui, chacun se sert, s’occupe de ses propres besoins et envies. La bienveillance se cache sous des airs d’égoïsme. Elle n’est pas surjouée, se montre autrement. C’est une veille silencieuse, rude parfois, ou maladroite, ou déroutante. Elle met le café à chauffer. Les paupières s’alourdissent. Sieste. Trente minutes, une heure, deux heures. Une autre parenthèse. Dormir, ou grimper sur un rocher. Prendre un café au refuge.
Retour pour la traite de 17 heures. Pas sans un petit goûter salé avant ! Je retrouve mes quatre vaches : Roma. Boucle arrondie, 6555 ; La Vieille. Cornes fines et sombres, anneaux de croissance marqués, mamelles molles ; La Campiùna. Grande, grosses cornes, robe claire, grosses mamelles rudes pouvant se relâcher en grands jets, 12 litres ; Celle au pied enflé. Cornes tricolores, tête plus sombre, peu de lait, pour les veaux, 4 litres et quelques.
Et de nouveau, le lait qui caille, qui chauffe, les veaux, les fromages. Dîner. Minestrone, pasta. Dehors la lumière baisse. Angelo et Giacomo vont déplacer les vaches pour la nuit, le petit Tomas va au lit. Chaleur de la cabane, humidité du dehors, le son des cloches qui s’éloignent puis se calme. Activités silencieuses. Je m’éloigne et m’endors avec la nuit.