Sortir de la vallée du Thoré, pour les terres rouges du Salagou
Je prends l’eau, sévère. Elle ne s’immisce pas sous les couches imperméables, mais elle sape le moral. Je fonce tête baissée dans le couloir du fond de vallée, s’en est obnubilant. J’ai froid. J’en ai marre. J’ai froid.
Je m’arrête dans un restaurant, dans l’espoir de sécher. Au bout de la piste cyclable, il y a un train qui trace jusqu’à hauteur de Mende, je le sais. Alors je regarde le site de la SNCF, délivrance ? C’est la grève. Aucun train pour les prochains jours. Alors je continue.
J’apprends la patience. Drôle de corps, qui fatigué se sent en vie. Drôle de corps, qui sollicité oublie ses douleurs. Drôle de corps qui, épuisé, se drogue je crois, et continue. Dans le regard extralucide de l’épuisement, le vallon du Vernoubrel me touche. La terre est rouge, la végétation encore recroquevillée de la chaleur des étés. Je passe le col et trouve refuge au milieu des pierres abandonnées. Drôle de corps, finalement, tout est dans la tête.
Remonter l’Hérault, jusqu’au pied des Cévennes
Le soleil est revenu ! Je me perds dans les routes submergées du lac du Salagou. Mais qu’importe, la lumière du matin est douce et la terre est belle. Je sors de ma torpeur en redescendant sur Clermont-L’Hérault. Ici, ce sont les réseaux qui imposent leur cadence. Tout s’engorge et s’accélère autour du tracé de l’A75. Je sors de là en vitesse – toute relative.
Je bifurque dans le lit de l’Hérault. Sous ses allures de rivière, il se dit que c’est un fleuve. La couleur de l’eau est magnifique, bleu calme d’un lagon. Je passe au pied de Saint-Guilhem-le-Désert. L’asphalte neuf me guide à travers le calcaire. Un cycliste en collant me dépasse avec un regard étonné. Ah, oui, ça monte. Mais j’ai tout mon temps. Je finis par basculer sur le causse, fais un pas de côté dans la garrigue et me prépare à une nuit venteuse. La tente tient.
Lendemain. Le vent ne faiblit pas. Les averses passent, le soleil entre, et des arc-en-ciel par dizaines. Je m’ennuie sec à pédaler dans le désert de la D108. Ma chaîne grince, je voudrais demander de l’huile, mais je ne croise pas une âme. Personne dehors. Deux jours m’auront suffi pour me sentir seule. La solitude ne se rêve qu’en douce compagnie… Heureusement le ciel est beau.
J’arrive, un peu trop vite, à Saint-Hyppolite-du-Fort puis à Sauve, où deux sœurs m’accueillent pour la nuit. Une douche chaude et la chaleur humaine, un concert et un lit. Être social.
Traverser la plaine, vortex automobile autour d’Alès
Quelle plaie ces voitures ! Alès les aspire sur plus de 15 km à la ronde, dans un bruit continu de moteurs qui me dépassent sans un regard. Il n’y a que les villages isolés pour regarder l’autre. Trop proche des flux, nous en sommes gavés. Des résidences, éparpillées dans tous les champs, mais plus un bar d’ouvert. Chacun dans son habitacle, et chacun le sien s’il-vous-plaît. Tous sous perfusion à la station essence. Et sans pétrole les cocos ? Amertume de cette vitesse imposée.
La vallée de l’Auzon me calme. Quelques beaux villages sont accrochés là, paisibles. La pétarade des chasseurs m’achève. La nuit tombe et j’hésite encore entre la peur des sangliers et la peur des hommes. Je finis par m’arrêter sur un entre-deux très moyen.
Rejoindre l’Ardèche, avant qu’elle ne s’engorge
Je me réveille dans les nuages. Tout est trempé. Je monte sur le vélo et pédale. Automatisme. Belle route, rive gauche du Chassezac, puis de l’Ardèche. Les falaises dégorgent. Je découvre avec plaisir une voie verte qui m’emmènera jusqu’aux portes d’Aubenas. Ancienne voie ferrée, « voie douce » ? Douce absurdité. Plaisir de rouler sans effort, grâce à ceux des anciens, qui ont jeté des viaducs et percé des tunnels pour que le train file sans pente excessive. Mais retirer les rails pour s’y promener ? Leur préférer le bitume pour se déplacer ? Bêtise ! Qu’importe, j’arrive.