Le label Grand Site de France reconnaît à la fois la grande valeur patrimoniale d’un lieu et l’intérêt du projet porté pour le mettre en valeur tout en assurant sa préservation. Les Vignobles et reculées du Jura sont candidats pour devenir officiellement Grand Site. La Communauté de Communes Bresse Haute Seille, qui porte la démarche, a passé commande aux paysagistes de l’Atelier Polis pour l’accompagner. Cette fois-ci, je serai leur crayon.
Je me suis immergée quelques jours dans ce site magnifique, en juillet 2023.
L’objectif ? Caractériser l’esprit des lieux, en dessins.
J’en ai profité pour décrire aussi avec les mots. Voici des bribes.
La grotte sous la baume
Sous l’arche de la grotte, au bord du ressaut, une petite alcôve de calcaire se pré- sente naturellement, prête à accueillir confortablement tous les fessiers humains qui souhaiteraient s’y asseoir. Là où l’on pose nos pieds, la roche est polie comme les dalles des églises. Combien de personnes sont montées ici, attirées par cette même curiosité primaire : la cavité ? L’élan d’aller s’abriter sous la falaise. D’aller explorer le noir. S’accrocher à flanc. S’extraire de l’activité qui bat à l’Abbaye de Baume- les-Messieurs.
Combien de personnes sont montées ici, attirées par cette même curiosité primaire : la cavité ?
Je me sens minuscule devant le noir de la grotte. Fragile. Intruse. Je songe un instant à tomber nez à nez avec une meute de loup confortablement installée là. Je me prépare à me baisser pour éviter le vol d’un millier de chauve-souris en colonie ici. Devant le boyau noir qui s’enfonce, je pense être à une des entrées de l’immense réseau karstique qui serpente sous le plateau calcaire. Boyaux, gouffres, rivières souterraines. Mon imagination s’emballe.
Mais non. Il n’y a personne d’autre aujourd’hui que moi et cette hirondelle de rochers venue se poser sur son bloc en lévitation. Un rouge-queue curieux, me rendra visite. Le sol sableux de la grotte garde en mémoire tout les pas qui s’y sont aventurés. L’empreinte de nos semelles ne s’efface pas, à l’abri de la pluie et du vent. Ici on ne peut pas prétendre repartir sans laisser de traces.
Les falaises des reculées
Le soleil a disparu à l’Ouest. Il s’est posé sur le plateau. Les Bizets en profitent pour emprunter encore une fois leurs drailles avant la nuit. Un croc dans une touffe qui a pris racine dans le glissant vaille que vaille. Une touffe de laine laissée à l’épine noire qui prend son péage. Le son des cloches montent jusqu’à moi, mêlé aux moteurs qui parcourent encore la route du fond, aux aboiements des chiens qui veillent, aux rires des enfants du camping. Plus proche, c’est le balai incessant des voltigeurs des falaises, qui rient en vol, dans des trilles rapides, et chantent parfois. Je suis chez eux.
Le pied de la falaise est bombé. Il manque une strate, parfois plus. Creusé inlassablement par l’eau, le vent, l’acide des pluies, le passage des bêtes. Je vois chaque bloc prêt à se détacher, tendu vers le bas par la gravité, retenu par je ne sais quel grain de peau d’un bloc voisin. Il rejoindra bientôt la masse qui s’accumule au pied des mastodontes : les éboulis. Une hirondelle des rochers choisit justement un bloc qui me semble sur le point de se détacher, pour passer la nuit. Habitat précaire ?
Tout un monde qui se délite lentement.
L’histoire des deux abbayes sœurs
Le cours de la Seille
Ici on se faufile à travers la forêt de ravin, toujours brouillon, renouvelée, éternellement jeune.
Aller au bout. Quitter l’abbaye de Baume et remonter le Dard rive gauche. Les lignes géométriques des vignes, la maîtrise de l’homme, sont loin derrière. Ici on se faufile à travers la forêt de ravin, toujours brouillon, renouvelée, éternellement jeune. Les éboulis sont juste au dessus, en perpétuel mouvement, empêchant la végétation de s’y installer durablement. La rivière est juste en dessous, prête à déborder, emporter les arbres qui ne se tiennent pas bien. Depuis quelques années les frênes s’effondrent, ici comme ailleurs. Il y a des chablis partout, des troncs en travers, des chandelles qui se décomposent, sur pied, la vie bat son plein. Fougères scolopendres, érables, frênes recouverts de mousses, tilleuls. Et les ifs, arbres de mémoires.
Certaines racines sont pétrifiées. Le cours lent de l’eau y a déposé année par année le calcaire qu’elle charrie, accumulé pendant sa traversée souterraine du plateau. Par endroit le lit de la rivière est à sec. Les rondeurs du calcaire déposé se dévoilent alors. On croirait une couverture moelleuse qui épouse les formes dures des pierres du lit de la rivière. C’est pourtant minéral, dur sous le pied. Les goures se succèdent, larges escaliers pour assurer une descente tranquille au Dard. Certaines se creusent en profondeur, trou d’eau translucide pour accueillir un corps. Le froid saisit les chairs. Bain sans âge.
Le calme du premier plateau
Rosnay est un havre suspendu.
Une avancée du plateau, qui tombe à l’ouest dans les pentes viticoles de Lavigny, et creusée au Nord et à l’Est par la reculée de Baume. Le relief est ici plein de courbes. Les combes cultivées tout en longueur, bordées par les bois, me ramènent dans le Jura plissé, bien plus haut dans la Chaîne. Les bruits de circulation ne parviennent pas jusqu’ici. Il n’y a pas même le murmure de l’eau, qui s’infiltre sans attendre. Isolée. Calme. Je n’entends que le chant des prairies fleuries, et des oiseaux qui s’y repaissent.
Le site internet de l’Atelier Polis – atelier-polis.com
Les illustrations ont été réalisées sur la commande de la Communauté de Communes Bresse Haute Seille : merci de leur demander l’autorisation si vous souhaitez les utiliser.